Par Anne-Marie Boucher du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ), Nancy Melanson de l’Association des groupes d’intervention en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ), Marité Lord, responsable du volet parole collective chez ReprésentACTION santé mentale Québec.
La vidéaste Laurence Côté-Collins a été reçue le 17 novembre dernier à l’émission Tout le monde en parle pour faire la promotion de deux œuvres, le documentaire Billy, et le livre Billy à vie. L’entrevue dirigée par Guy A. Lepage, présentant l’histoire de la relation entre la vidéaste et Billy, un camarade de création « flyé et original » connu en 2008 dans le mouvement cinématographique Kino, nous a laissé en bouche un goût amer. Sous le couvert d’une humanisation du parcours d’une personne diagnostiquée de schizophrénie et accusée de meurtre, cette entrevue nourrit de dangereux préjugés que nous souhaitons déconstruire ici.
L’histoire racontée dans cette entrevue l’est du point de vue des proches, et la dégringolade de Billy, vécue dans le silence et le tabou de la santé mentale, n’est pas relatée. On fait surtout l’association entre « la gravité de la schizophrénie » et les raisons de la violence. Cette entrevue nous confirme qu’on ne parle de schizophrénie dans les médias qu’en l’associant avec des événements très violents. Cette association est fausse et préjudiciable à l’ensemble des personnes ayant reçu ce diagnostic.
Plutôt que de conclure en soulignant qu’il a connu la schizophrénie et que les symptômes correspondent en tout point à ce que montre l’histoire de Billy, nous aurions aimé que l’intervieweur précise que la schizophrénie n’égale pas violence ou meurtre, et que cette généralisation, qui peuple trop souvent nos imaginaires de la santé mentale, a des impacts bien réels et néfastes sur les personnes qui vivent avec de grands défis de santé mentale. Il nous semble qu’il aurait été important de nommer comment les personnes qui vivent avec ce diagnostic sont surtout à risque d’être victimes que perpétrateurs de violence, sont surtout à risque de vivre grand nombre de discriminations et de voir leur espérance de vie réduite à cause de l’impact des discriminations et, parfois, à cause de la surmédication.
Une étude conclut que des personnes vivant avec des « maladies mentales graves » subissent 10 fois plus de crimes violents que la population générale¹. Dans les dernières années, 7 personnes sur 10 abattues par des policiers dans le Grand Montréal étaient des personnes qui étaient en crise².
Allant à l’encontre des recommandations de l’Institut national de santé publique du Québec en matière de traitement médiatique de la santé mentale³, l’entrevue présente une vision fondée sur la crainte de la violence, comme si la crise arrivait sans crier gare, comme si schizophrénie égalait violence, comme s’il n’existait pas d’alternatives pour accompagner les personnes qui entendent des voix. Nous aurions aimé qu’on y parle du fabuleux modèle des groupes d’entendeurs de voix, un modèle qui se développe dans grand nombre de groupes communautaires en santé mentale au Québec, des groupes qui accueillent des personnes aux prises avec ce type de phénomènes, et qui les accompagnent pour mieux vivre avec cette particularité.
Finalement, soulignons qu’on parle à Billy, on parle de Billy, mais Billy n’est pas présent. Encore une fois, tout le monde n’en parle pas, puisque cette discussion se tient entre personnes proches ou intéressées, entre personnes « saines », sans que des personnes premières concernées, des personnes qui en ont fait l’expérience dans leur propre corps, soient invitées autour de la table pour se raconter au JE. Billy, qui fait l’objet d’un film et d’un livre, et maintenant d’une entrevue à la télé publique, voit sa parole confisquée, et il n’est cité qu’à quelques reprises dans l’entrevue, dont pour relater ces propos : « J’étais bon à enfermer ». Puisque l’équipe de Tout le monde en parle défend l’importance de faire entendre une diversité de points de vue, il aurait été intéressant de recevoir, par exemple, des protagonistes du documentaire Histoires de voix, paroles d’entendeur.e.s, réalisé par l’Association québécoise de réadaptation psychosociale (AQRP).
Les personnes qui entendent des voix sont d’abord victimes du tabou social autour de cette réalité, et se retrouvent souvent isolées, victimes d’autostigmatisation ou de stigmatisation, et attendent parfois longtemps avant de demander de l’aide, tantôt effrayées par la possibilité de subir de l’aide contrainte, tantôt entretenant une croyance dans la possibilité de s’en sortir seul.e.
Cette lettre ouverte n’est pas une réponse à Mme Côté-Collins, mais plutôt un appel à toutes les personnes qui entendent des voix ou qui vivent avec la schizophrénie : vous n’êtes pas seul.es, et des organismes communautaires déploient, quotidiennement, des discours et des pratiques qui visent à lutter contre ces lourdes représentations. Le RRASMQ continuera à proposer des alternatives qui visent votre mieux-être, l’AGIDD-SMQ continuera à pointer les dérives au niveau des droits de la personnes et ReprésentACTION smQ croira et stimulera toujours la parole collective des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale dans les sujets
auxquelles ces personnes sont premièrement concernées.
¹ [1] N.W. Link et al., « Can general strain theory help us understand violent behaviors among people
with mental illness ?”, Justice Q., Vol. 33, 2016, no4, p. 729-754 ; S. Glied et R.G. Frank, “ Mental
illness and violence: Lessons from the evidence”, Am. J. Public Health, vol. 104, 2014, no2, pe5-e6.
² Selon une enquête du journal Le Devoir de 2021. https://www.ledevoir.com/societe/648996/le-
devoir-enquete-81-quebecois-tues-par-des-policiers
³ INSPQ, La santé mentale dans les médias et l’espace public : comment l’aborder?